J’ai lu un livre formidable sur les cachalots et autres animaux : Réconcilier les hommes avec la vie sauvage, un livre d’entretien de Coralie Schaub avec l’océanographe François Sarano. Ce dernier nous parle de ses rencontres avec les cachalots, ces géants des mer fascinants et de leur intelligence relationnelle stupéfiante. Il déboulonne au passage quelques clichés navrants sur ces créatures et la prétendue loi de la jungle ou la loi du plus fort, qui régirait la vie animale et le monde en général.
Rencontres marines bouleversantes avec les cachalots
À la différence des dauphins ou de la baleine bleue, ou encore des orques, le cachalot suscite une certaine indifférence. C’est pourtant un animal tout à fait fascinant, très vif, et doué de beaucoup de personnalité. Notre espèce humaine sanguinaire, guerrière, carnassière aurait grannnnd besoin de s’en inspirer.
Honnêtement, le cachalot est plutôt moche. Il a désigné comme un monstre et chassé sans répit, après le Moyen-Âge, et ce jusqu’au début des années 1980 ! Cet animal sauvage n’est plus pourchassé depuis une trentaine d’années. Il fait désormais l’objet d’observations scientifiques et de découvertes passionnantes.
L’exemple d’Eliot, jeune cachalot joueur et intrépide
Alors que le scientifique François Sarano étudiait les interactions d’un groupe de cachalots, proches de l’île Maurice, un jour, un jeune cachalot, Eliot, est venu au devant de François Sarano « et l’a poussé de la tête, comme un gros chien, de 6 mètres de long « . Le jeune cachalot curieux tentait visiblement de communiquer.
S’ensuivirent quelques pirouettes et retournements sur le dos, ce que l’océanographe décrit comme étant « la position typique du cachalot qui demande des caresses à ses congénères ». Eliot voulait sans doute jouer. L’océanographe s’est alors prêté au jeu, effectuant lui-même quelques pirouettes, s’efforçant d’imiter le jeune Eliot, qui a continué le jeu, un moment.
Une forme de complicité était née.
Le scientifique en conclut que « les autres êtres vivants veulent aussi tisser des liens avec les autres espèces et les apprivoiser. L’animal sauvage vous étudie lui aussi. Vous devenez à votre tour l’objet d’étude, celui que l’on veut apprivoiser ».
Quand Eliot le cachalot demande de l’aide
L’homme des mers livre alors une autre histoire étonnante, qui lui a été rapportée par d’autres plongeurs, dont un certain Hugues Vitry.
Lors d’une autre expédition, Eliot le cachalot s’est approché assez vite des plongeurs présents, ce qui a effrayé ces derniers, qui sont remontés sur leur bateau. Le jeune cachalot s’est alors mis à tourner autour du bateau. Les plongeurs ne comprenaient pas ce qu’il voulait. Ce n’est que lors de leur troisième tentative de plongée que l’un d’entre eux s’est aperçu qu’Eliot avait un hameçon planté dans sa mandibule. Était-ce pour cela qu’il tournait autour du bateau ?
Les plongeurs l’ont rejoint pour voir s’ils pouvaient lui retirer l’hameçon de la gueule. « Le jeune cachalot s’est laissé faire, a ouvert plus grand la gueule, comme n’importe quel chien. »
Eliot a supporté une douleur immédiate avec, sans doute, la certitude d’un hypothétique soulagement, soit un véritable pari sur le futur proche. C’est en tout cas la preuve de capacités analytiques remarquables et d’une aptitude à se projeter dans le futur. Cependant, son audace est sans doute une question de « personnalité ». En effet, nous avons tous pu constater que les animaux avec lesquels nous vivons ont leur personnalité, un monde bien à eux.
Chaque animal a sa personnalité et ses coutumes
Chaque animal a sa personnalité et un monde qui lui est propre. Son intelligence est incomparable à la nôtre. Il est capable de s’adapter à des situations, de résoudre des problèmes qui lui sont spécifiques. Par exemple, il y a des orques (péninsule Valdès, Argentine) qui apprennent à leurs petits à s’échouer, pour chasser.
En Australie-Occidentale, du côté de Shark Bay, on observe des dauphins qui parviennent à se protéger le bec avec une éponge, pour ne pas se faire mal lorsqu’ils vont fouiller les fonds marins, jonchés de débris coralliens très coupants.
Vie et culture des clans de cachalots
Les cachalots, n’en déplaise aux autres espèces, ont aussi leurs culture, coutumes et mode de vie bien spécifique. Par exemple, ils n’utilisent pas la même langue, ou le même accent selon les eaux où ils vivent. Les cachalots communiquent par une série de clics pour communiquer (voir vidéo avec François Sarano, ci-dessus). D’un clan à l’autre, dans les différentes eaux du monde, la série de clics qu’ils émettent diffère.
Ces cétacés s’entraident et semblent empathiques les uns envers les autres. Ils peuvent, par exemple, se mettre en danger même pour un individu en détresse d’un autre clan.
C’est un comportement dit épimélétique. Ils s’occuperont volontiers de leurs congénères malades, blessés voire morts.
Les femelles pratiquent l’allomaternité, c’est-à-dire qu’elles nourrissent les petits des autres et la gardent, comme des nounous, quand les mères chassent à 20 minutes de nage de là.
Remarquable capacité de résilience des cachalots
Pour la petite histoire, la chasse aux cachalots a été interdite en 1980, après des centaines d’années de massacres gratuits (268 ans de carnage). Personnellement, je m’étonne que les hommes puissent déjà approcher de nouveau les cachalots, seulement 30 ans après qu’on ait cessé (officiellement) de les chasser !
Les cachalots ont donc désappris la peur de l’homme et de ses bateaux en à peine 30 ans ! Des centaines d’années de chasse, pardonnées après 30 ans de répit à peine !
L’océanographe souligne que bien avant le Moyen-Âge, les êtres humains déifiaient ces créatures. On a en effet trouvé des silhouettes de cachalots gravées sur des pierres levées ! Nos ancêtres avaient ils eu le loisir d’observer ces cétacés en train de dormir ? Oui, parce que le cachalot dort debout !
Clan de cachalots qui dort… :
Les cachalots et autres baleines dorment debout !
Les cachalots et baleines ne dorment pas de la même façon que nous. Ils se doivent d’être conscients de leur respiration en permanence, sinon ils meurent ! C’est pourquoi ils pratiquent le « demi-sommeil », en se positionnant dans l’eau à la verticale, la tête en haut, ou en bas.
Le cachalot utilise un minimum d’oxygène et optimise sa capacité pulmonaire, ce qui lui permet de respirer une heure entière avec un seul et même souffle d’oxygène. Cependant, leurs siestes durent en moyenne 15 à 20 minutes, en groupe, et tout le groupe se réveille simultanément.
Les animaux ont des occupations inutiles
Les plongeurs constatent que les cachalots utilisent leur temps libre pour s’intéresser à autre chose que ce qui concerne leur survie. Ils jouent avec des troncs d’arbre, des algues.
Les cachalots se caressent les uns les autres, tous les jours. Ils se concentrent sur le bien-être de l’instant. Ils se montrent prévenants, altruistes et désintéressés les uns envers les autres. Ces comportements ne sont pourtant d’aucune utilité, si ce n’est entretenir des liens forts et profiter de la vie ?
Il n’y a que nous, êtres humains, pour chercher une utilité à ces comportements.
Profiter de la vie versus la vacuité de la frénésie humaine
Les animaux profitent de la vie. Ce que nous jugeons exceptionnel, chez nous qui avons une activité frénétique, les animaux en font leur vie.
Il n’y a que nous, les êtres humains, pour nous agiter du matin au soir, comme de foutus pantins, avec notre vision utilitariste du monde. « Notre société pousse à l’extrême le culte de l’utile, du rentable. C’est ainsi que l’on se détourne du présent, de l’essentiel (manger, boire, dormir, être bien avec les autres). On reste scotchés à nos écrans, pour se fuir nous-mêmes. Dans la plupart des restaurants, où l’on va pour partager un repas, il y a un écran, de la musique, tout le temps. Le divertissement, toujours, pour ne pas se retrouver face à soi-même, à l’autre.
Or, « les moments forts, ceux qui restent gravés, ce sont des moments inutiles. »
Sarano cite Théodore Monod :
« l’homme moderne redoute le silence, car il pressent confusément que le silence est une terre de confrontation avec l’essentiel, avec nous-mêmes et avec notre volonté d’homme ».
On a envahi les espaces vitaux des animaux, et cela donne, sur les routes, notamment, plein d’animaux écrasés, chaque année (chat, chien, crapaud, grenouille, oiseau, collision avec sangliers, cerfs, biches…), parce que les vitesses conseillées et les itinéraires ne tiennent compte que de nos besoins.
En mer, c’est pareil.
« La première cause de mortalité des cétacés en Méditerranée, ce sont les chocs avec les cargos et les navires de passagers à grande vitesse.
Les navires refusent de ralentir, même quand des baleines sont signalées, pour ne pas perdre de temps. Les passagers exigent d’être à l’heure et n’acceptent pas de perdre les quelques minutes qui pourraient épargner la vie d’une baleine.
Nous imposons au monde notre rythme insensé.
La loi de la jungle selon l’homme, quelle connerie !
Contrairement à ce que s’imagine, l’homme, être parano, descendant d’êtres ultra-vulnérables, la nature n’a RIEN d’un grand terrain de chasse. Il n’y a que notre espèce qui soit sur le qui-vive en permanence.
Chez les animaux, « proies » et prédateurs se côtoient pacifiquement, en dehors des « heures » de chasse. Une fois rassasiés, les prédateurs ne tuent plus.
« Les loups viennent récupérer des carcasses à quelques mètres d’un troupeau de brebis sans qu’elles soient dérangées. Les loups et les chiens de berger peuvent se côtoyer et parfois jouer ensemble. »
Les auteurs de documentaires animaliers ont beaucoup de mal à filmer des scènes d’action (de chasse) comme nous, êtres humains, les attendons, car dans la nature, les animaux ne prélèvent que ce dont ils ont besoin.
La vraie loi de la jungle consiste à ne prélever que ce qui est nécessaire à sa propre survie. La loi de la jungle, la vraie, c’est l’extrême frugalité.
Notre rythme humain, frénétique et insensé dérègle tout et tous. On ne laisse pas à la nature et aux animaux le temps de se renouveler.
On prélève, on prélève, plus que nécessaire, par avidité, incapacité à se satisfaire d’avoir « juste ce qu’il faut ». Or, la nature porte un souffle de vie incroyable. Dès lors qu’on cesse de la mettre sous pression, elle se régénère.
La nature sauvage est un présent permanent de paix
Un monde de paix ne veut pas dire un monde sans animaux qui se nourrissent les uns des autres. Il y a la mort, mais pas de cruauté dans le fait de se nourrir. La mort nourrit la vie.
La sélection naturelle destructrice causée par l’Homme
Nous sélectionnons des espèces végétales ou animales avec des objectifs bien précis, appauvrissant par là même la diversité de nos cultures. Nous avons une vision maladive du vivant car contrairement à d’autres animaux, nos ancêtres vivaient dans un monde dangereux, ils étaient aux aguets, en permanence.
La nature, elle, s’en moque de laisser passer, dans l’évolution, 36 paires de nageoires ou de nez différents, pourvu que les groupes de mammifère, et suffisamment d’individus, issus de chaque espèce animale, perpétuent l’espèce.
Elle est indifférente au temps que passe le chat à dormir ou les bonobos à batifoler. Ces temps de « rien » ne les préservent d’aucun danger. En revanche, ils se reproduiront toujours.
Dépasser les « on-dit » sur les animaux sauvages
Si on est pas détendus, le cheval, le chien, le chat ou le requin le ressentent. Ils sont infiniment plus sensibles et plus doués que nous.
Le crocodile des mers ou le grand requin blanc ont une sale réputation. Sarano nous recommande de nous méfier de cette prétendue grande férocité. Il faut prendre de la distance avec les clichés ancrés dans l’imaginaire collectif et s’éloigner des petites médisances ordinaires.
De façon générale, et sans prendre de risque inconsidéré avec les animaux sauvages, il faut aller découvrir l’autre, sans a-priori, surtout celui qui est calomnié.
On a beaucoup alimenté la terreur du requin, dans les eaux où il habite, ou dans ses nouveaux territoires. Or, un requin n’attaque pas sans raison. L’agitation, dans l’eau signifie « je suis blessé, je suis une proie potentielle ». C’est dans ces conditions qu’un requin peut se tromper et mordre à tort. Ce sont l’agitation et l’affolement qui attirent le requin, pas l’homme ni l’odeur de son sang !
« Le requin blanc ne goûte pas n’importe quoi. Il a une sensibilité et des sens incroyables. Il a une acuité qui l’amène à faire très peu d’erreurs. Il se trompe rarement de proie. » À titre de comparaison, on recense en France, chaque année, 30 accidents de chasse mortelle ! Les chasseurs humains sont beaucoup plus sujets aux erreurs que les requins.
Le requin, lui, fait 10 blessés par an. Les gens peuvent mourir de leurs blessures, mais ils ne sont jamais mangés…
Les hommes se trompent beaucoup plus que les requins (30 accidents de chasse mortelle causés par l’homme, chaque année).
Les accidents se produisent en eau trouble, dans des situations très particulières…
Peut-être aussi faut-il arrêter d’empiéter sur le territoire d’animaux que nous obligeons à vivre toujours plus loin et dans des conditions toujours plus dégradées…
J’espère que vous avez apprécié autant que moi les réflexions tirées de ce livre (et aussi des podcasts que j’ai écouté sur le sujet). Ils m’ont appris beaucoup de choses. Quand on lit et écoute tout cela, on ne peut que détester un peu plus la race humaine.
8 milliards sur Terre : l’être humain est insensé !
Quoi qu’il en soit, nous pouvons toujours nous rendre utiles auprès des animaux et de la nature. Certes, les actions de préservation sont insignifiantes, mais malgré tout importantes : elles permettent de créer quelques petits îlots de survie, ça et là et de lâcher prise face à son éco-anxiété.